Agitation, anxiété, déambulation, agressivité, désorientation… les troubles du comportement chez la personne âgée démente sont le quotidien des équipes transdisciplinaires travaillant en gérontologie (USLD, EHPAD, SSIAD, accueil de jour, UHR, PASA, etc…). Ils peuvent être très perturbateurs pour l’entourage et causer une grande détresse et sentiment d’impuissance chez les aidants.
Si les troubles du comportement font partie de la symptomatologie de la maladie d’Alzheimer et des démences apparentées, il n’en est pas moins qu’un comportement ne résulte pas seulement d’une analyse cognitive mais aussi et surtout de sentiments et d’émotions éprouvées. Un comportement troublé, voire troublant ne peut être réduit au diagnostic de démence. Que veut nous dire la personne par son comportement ? Quel sens donner à ce comportement, à ce moment précis et dans ce contexte précis ? Est-ce une réaction à la douleur, un délire, une protection psychique ?
A travers un approfondissement des notions de comportement et de mécanismes de défense, il s’agit de découvrir des pistes pour mieux appréhender les troubles du comportement perturbateurs chez les patients touchés par une démence de type Alzheimer.
La notion de comportement
Selon la définition du Larousse de Psychologie un comportement est une manière d’être et d’agir des animaux et des hommes, manifestations objectives de leur activité globale.
Du point de vue des neurosciences, les comportements sont des actes complexes résultant de diverses actions coordonnées par les centres cérébraux. Ils sont liés aux perceptions sensorielles et à la façon dont notre cerveau traite l’ensemble des informations externes et internes en fonction des apprentissages et des expériences emmagasinées dans notre cortex. D’une certaine manière un comportement exprime une forme de représentation et de construction d’un monde particulier.
A partir de quel moment un comportement devient-il troublé, nous permettant de parler de trouble du comportement ?
La notion de trouble du comportement
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) propose la définition suivante des troubles du comportement :
« Par troubles mentaux et du comportement, on entend des affections cliniquement significatives qui se caractérisent par un changement du mode de pensée, de l’humeur (affects) ou du comportement associé à une détresse psychique et/ou à une altération des fonctions mentales».
Par parler de trouble du comportement, il faut que soient présentes les trois caractéristiques suivantes : la conduite est inadaptée ou aberrante compte tenu du contexte où elle se produit, il y a rupture avec le comportement antérieur et enfin il doit y avoir un retentissement sur les actes de la vie quotidienne.
Dans le cas de la maladie d’Alzheimer ou de démences apparentées, on parle souvent de symptômes comportementaux et psychologiques des démences (SCPD). Ce sont souvent ces symptômes qui perturbent le plus l’entourage et qui sont à l’origine d’une hospitalisation ou d’une institutionnalisation définitive.
Parmi ces troubles du comportement on peut citer : l’exaltation, l’euphorie, l’anxiété, les idées délirantes, les hallucinations, l’agitation, l’agressivité, l’impulsivité, la désinhibition, l’apathie, l’indifférence, les troubles du sommeil, l’irritabilité, l’instabilité de l’humeur, les troubles de l’appétit, la dépression…
HAS : Troubles du comportement perturbateurs
Or un comportement même troublé reste un comportement, en tant que manière d’agir ou d’être en réaction à des perceptions sensorielles et à leur traitement par le cerveau, que ce soit au niveau cognitif ou émotionnel. Dans le cas d’une démence de type Alzheimer, le patient éprouve des difficultés à analyser ce qu’il ressent, parfois même n’a plus l’usage de la parole pour l’exprimer. Ce qui ne peut plus se dire ou se penser est susceptible de se travestir en réactions troublées… voire troublantes.
Les mécanismes de défense tout au long de la vie
Le vécu du vieillissement, de la dépendance et de la maladie est une épreuve difficile. Les personnes âgées se retrouvent souvent face à des situations très perturbantes : pertes de proches, institutionnalisation et abandon du domicile, vie en collectivité avec un rythme imposé, perte de repères… Il s’agit de situations qui peuvent engendrer des mécanismes psychiques de défense, afin de nous préserver d’une réalité vécue comme intolérable parce que trop douloureuse. Ces mécanismes de défense revêtent une fonction adaptative. Ce sont des processus involontaires et inconscients qui permettent de supporter des angoisses. Ils font partie de la vie quotidienne et doivent être respectés. Selon les mots de G.Ferrey et G.Le Gouès dans La psychopathologie du sujet âgé « la souplesse et la diversité des mécanismes de défense permettent au Moi de tenir en respect les désirs exprimés par le ça ».
Voici quelques exemples de mécanismes de défense
- Le déni
- Le mensonge
- La banalisation
- L’esquive
- La fuite en avant
- La rationalisation
- La régression
- L’agressivité
- Les troubles du caractère : irritabilité, autoritarisme, reproches, demandes incessantes,
- Des comportements d’évitement
- Des préoccupations hypocondriaques
- L’Idéalisation
- L’Identification projective
- La mémoire sélective ou attention sélective
Se pose alors la question du vieillissement des mécanismes de défense, en particulier dans le cas des personnes atteintes de démence de type Alzheimer. Les mécanismes de défense se construisent tout au long de l’existence et évoluent avec le temps et les expériences. Les mécanismes de défense se modifient et surtout se complexifient avec la maturation du psychisme.
Richard Salicrú avance une hypothèse intéressante inspirée des dernières avancées de la neurologie et de la neuropsychanalyse. Il avance que « les mécanismes de défense, en vieillissant, avec la perte de l’élasticité psychique et organique, se fatiguent, s’érodent jusqu’à quelquefois régresser à leur état premier » et que les comportements troublants des personnes âgées démentes peuvent être pensés comme « les restes archaïques de systèmes défensifs ». Dans cette modélisation, les comportements observés sont en fait réactionnels à des situations conflictuelles de base comme la faim, la douleur ou le besoin d’élimination.
Ethique en psycho-gériatrie
La personne âgée malade exprime donc bien autre chose que des signes et symptômes regroupés en syndromes et maladies. Ces questionnements sur le sens des comportements dits « troublés » chez les personnes âgées déments ont une résonance éthique et interrogent les modalités d’accompagnement de ces personnes.
C’est en considérant « la personne démente comme un sujet à part entière, dans sa dignité, à respecter son intimité, à éviter toute forme d’infantilisation et à soutenir ses capacités défensives » qu’on pourra conserver plus longtemps les aptitudes sociales des patients. Selon R.Salicrú « l’institution, trop souvent, abolit définitivement les capacités défensives en imposant sans discernement les règles du collectif. Les familles, aussi, participent par leur incompréhension des troubles à une démolition systématique des mécanismes de défense déjà mis à mal par les troubles neuro dégénératifs. Cela sous-entend d’être en mesure de supporter les refus, de valider les colères, d’adapter sa propre vision du monde à la distorsion de la vision de la personne démente. »
Découvrez quelques une de nos formations sur cette thématique :
- Les troubles psycho comportementaux dans la maladie d’Alzheimer et démences apparentées
- Prise en soins et gestion des troubles cognitifs et comportementaux
- Faire face à l’agressivité et au refus de soins
- Approche relationnelle de la personne âgée présentant des troubles du comportement
Ressources documentaires
- BRUGGEN H. Ce malade qui existe. Le Centurion, 1977.
- Charazac P., 2012, Psychothérapie du patient âgé et de sa famille, Paris, Dunod.
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